
À l’occasion du colloque international marquant le centenaire de Frantz Fanon, organisé au Musée des Civilisations noires à Dakar, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a prononcé un discours offensif et programmatique, présentant la pensée fanonienne comme un outil d’action politique contemporaine, et non comme un simple héritage intellectuel.
Fanon, une pensée toujours brûlante
Dès l’ouverture, Ousmane Sonko a donné le ton : « Nous ne commémorons pas Fanon. Nous le continuons. » Pour lui, les analyses du penseur martiniquais restent d’une actualité brûlante car les blessures qu’il décrivait — coloniales, psychiques, économiques et politiques — demeurent largement ouvertes en Afrique.
Revenant sur la pratique psychiatrique de Fanon en Algérie coloniale, le Premier ministre a souligné que le colonialisme constituait une pathologie globale, affectant aussi bien le colonisé que le colonisateur. Les indépendances politiques n’auraient pas suffi à réparer les traumatismes hérités de la domination. D’où cette affirmation forte : « La désaliénation est une politique publique. »
Critique des élites postcoloniales
Le cœur politique du discours s’est appuyé sur la critique fanonienne des bourgeoisies nationales, accusées d’avoir confisqué les indépendances sans transformer les structures de domination. Une analyse que Sonko relie aux colères populaires actuelles, aux mobilisations de la jeunesse et à la contestation croissante des mécanismes néocoloniaux.
« L’Afrique ne demande plus l’indépendance. Elle exige la souveraineté », a-t-il martelé.
Souveraineté monétaire et dignité économique
La question du franc CFA a occupé une place centrale. Ousmane Sonko l’a présenté comme un héritage colonial structurant à la fois les politiques économiques et les imaginaires. Selon lui, la réforme de l’éco reste insuffisante tant qu’elle ne rompt pas avec les logiques de dépendance.
La souveraineté économique passe, a-t-il insisté, par une maîtrise monétaire permettant d’investir librement dans la santé, l’éducation, l’agriculture et l’industrialisation.
La diaspora comme avant-garde
Autre axe fort : le rôle stratégique de la diaspora africaine, décrite comme une avant-garde de la décolonisation contemporaine. Sonko a rappelé son poids économique, supérieur à l’aide publique au développement, ainsi que son rôle culturel, politique et intellectuel dans la construction de nouveaux imaginaires africains.
Un discours assumé de gouvernement
Dans la dernière partie de son intervention, le Premier ministre a relié explicitement Fanon à l’action de son gouvernement :
- lutte contre la corruption,
- transparence budgétaire,
- remise en cause des accords contraignants,
- dénonciation de la présence militaire étrangère,
- liberté de choix des alliances internationales.
Ces orientations ont été présentées comme des prolongements directs du combat fanonien, sous la devise « Jub, Jubal, Jubanti » (droiture, intégrité, redressement).
Dakar, pôle intellectuel africain
En accueillant ce colloque, Dakar se veut, selon Ousmane Sonko, un carrefour des consciences africaines, héritier de Cheikh Anta Diop, de la Négritude et des luttes de la jeunesse contemporaine.
En conclusion, le Premier ministre a lancé un appel clair : achever ce que Fanon a commencé, par des ruptures concrètes, institutionnelles, économiques et mentales. Tant qu’il y aura des « damnés de la terre », a-t-il affirmé, la pensée de Fanon restera une exigence politique vivante.
