Adja Dial Moussé Alé Mbaye : la voix qui unissait une nation

D’abord, il y avait sa voix. Claire, puissante, capable d’allumer le « tassou » comme une flamme vive, invitant le sabar à prendre le relais et à imprimer le rythme. Où qu’elle chantait — dans une cour, sur un plateau télé, dans une grande salle ou lors d’un baptême — Adja Dial Moussé Alé Mbaye transformait l’instant en un lieu de partage et d’appartenance. Son art s’appuyait sur l’appel-réponse, ce pacte vivant où elle lance sa phrase et le public répond, faisant de la mémoire collective une véritable chorale. Dans sa musique, se mêlaient le « jom » (la dignité) et la « teranga » (l’hospitalité), deux valeurs fondatrices du Sénégal.

Son grand tournant, elle le doit à un titre et une scène : « Fa Wade Wellé » et la scène de Super Ndadjé à la RTS, lors de l’inauguration de l’avenue Malick Sy (1989-1990). Repérée dans les chœurs de Kiné Lam, sa tante maternelle, et recommandée par El Hadj Mansour Mbaye, elle passa rapidement de l’ombre à la lumière. Sous la houlette de Talla Diagne, elle enchaîna les cassettes et les tournées, du Sénégal à toute la sous-région, puis jusqu’en Europe et aux Amériques. Sa marque de fabrique ? Une parole précise, truffée de proverbes wolof ancrés dans le quotidien, portée par le tama, le xalam, et des images qui parlent au cœur.

Les scènes ont nourri des histoires marquantes. À Ndayane, une sage-femme interrompit brièvement son travail pour l’écouter et revint quelques heures plus tard, rayonnante : un accouchement sans problème venait de se dérouler — « vous nous avez porté bonheur », lui confia-t-elle. À Mbour, avant même la tombée de la nuit, une foule immense se pressait. Du haut d’une terrasse, Adja pleura devant cette marée humaine. « La seule réponse, c’était de me donner entièrement. »

Sa carrière fut aussi celle de la rigueur et de la sagesse. Avec des cachets qui pouvaient atteindre 1 500 000 F CFA pour un playback à Brazzaville, dix pèlerinages à la Mecque, des liens forts avec des lieux sacrés comme Maristes et Tivaouane, elle sut préserver ses priorités. Puis vint un retrait volontaire : elle choisit de revenir aux cérémonies traditionnelles, loin du « buzz » médiatique, par pudeur et conviction. Une déception en 1997, un paiement différé jamais perçu, lui pesa surtout car elle ne put remercier ses musiciens de « Fouleu ». Fille spirituelle de Tivaouane, sous la guidance de Serigne Mbaye Sy Mansour, elle veilla toujours à ce que l’art ne nuise jamais à la foi. Ce retour à la simplicité, à l’arrêt du « xessal », elle l’assuma pleinement comme une discipline et une paix intérieure : s’éloigner des artifices, prier, retrouver son rythme et sa couleur. « Je n’ai pas peur de la mort, mais de l’inconnu », confiait-elle, conseillant aux jeunes de faire preuve de mesure et de décence, surtout à l’ère des réseaux sociaux.

Les hommages se multiplient aujourd’hui, les vieux enregistrements reprennent vie. On réécoute « Bété Bété », « Fouleu » et « Fa Wade Wellé » pour mesurer l’empreinte laissée. Mardi 14 octobre 2025, Adja Dial Moussé Alé Mbaye s’est tue à 71 ans. Mais ce qui reste, c’est une trace vibrante : celle d’une femme qui a su conjuguer tradition et modernité, scène et intimité, ferveur et élégance.

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